Le Belem (1896) est le dernier trois-mâts barque français à coque acier, un des plus anciens trois-mâts en Europe en état de navigation et le second plus grand voilier restant en France.
Construit à Nantes, utilisé notamment dans les Antilles, puis tour à tour anglais, italien puis à nouveau français, cet ancien voilier de charge, plusieurs fois transformé, motorisé et rebaptisé, pour divers usages (croisière de luxe et navire-école), fut finalement déniché par hasard à Venise dans un piteux état à la fin des années 1970, par un amateur nostalgique. Racheté grâce à l'appui d'une grande banque française qui finance la fondation qui entreprend sa restauration, il est aujourd'hui reconverti dans le cabotage, offre des stages d'initiation et de découverte aux passionnés, sert entre autres et accessoirement à la Marine nationale pour l'entraînement de ses mousses et apparaît dans les grands rassemblements de vieux gréements traditionnels.Le Belem fait l'objet d'un classement au titre des monuments historiques depuis le 27 février 1984.
Histoire
Les débuts et le transport du cacao
Lancé le 10 juin 1896, seulement 7 mois après sa commande aux chantiers Dubigeon de Nantes par Fernand Crouan, de la Compagnie nantaise Denis Crouan et Fils spécialisée dans le transport du cacao pour le compte des chocolateries Menier, il est affecté à la flotte des « Antillais » et peut transporter jusqu'à 675 tonnes de fret.
Son premier voyage, sous les ordres du capitaine Lemerle, surnommé « le merle noir », fut un demi-succès, un incendie à l'approche des côtes d'Amérique du Sud ayant détruit les 121 mules que le bateau transportait de Montevideo (Uruguay) à Belém (Brésil). Cela lui valut un retour précipité au chantier pour de lourdes réparations. Bon marcheur, ce voilier de petit tonnage, comparé à la flotte des voiliers cap-horniers de l'époque, n'effectuera pas moins de 33 campagnes jusqu'à sa retraite commerciale le 31 janvier 1914.
Ces campagnes se feront principalement en direction de Belém, port situé sur la rive sud du bras méridional de l'embouchure du fleuve Amazone. Mais le Belem connaîtra bien d'autres destinations, telles que Montevideo en Uruguay, ou la Martinique aux Antilles d'où il échappera de peu à la colère de la montagne Pelée en 1902. En effet, l'entrée du port lui est refusée par manque de place, et il doit aller mouiller à l'autre bout de l'île, ce qui le sauvera. C'est d'ailleurs le Belem qui secourra les deux (ou trois) rescapés de la catastrophe. En 1907 et 1908, sa destination est la Guyane ; armé par Demange Frères il ravitaille Cayenne et son bagne. Ces voyages étant non rentables, il est cédé à la Société des Armateurs Coloniaux.
L'équipage est alors composé de seulement 13 hommes dont les conditions de vie à bord sont rudes. En effet, il faut manier plus de 1 000 m2 de voiles. Le gréement est alors celui d'un trois-mâts barque, la brigantine triangulaire ne portant curieusement pas de vergue. Mâts et espars sont en bois, cordages en chanvre et voiles en coton.
Navire de plaisance puis navire-école
L'expansion des bateaux à vapeur, plus fiables et plus réguliers pour la navigation commerciale, rend le Belem obsolète. Le 11 février 1914, il est racheté pour 3 000 livres sterling par le duc de Westminster à des fins de yachting. Le Belem entame une nouvelle vie en tant que luxueux navire de croisière. À cette époque, il est profondément transformé pour assurer le confort du propriétaire et de ses invités.
La cale est transformée en cabines confortables et l'on peut accéder, par un escalier à double révolution, à un salon vitré, décoré en acajou de Cuba et monté sur le pont. Ceci imposera malheureusement que les basses voiles, très puissantes auparavant, soient retaillées. Les bas-mâts sont changés pour des tubes d'acier. On le dote aussi de 2 moteurs suédois Bollinder de 250 ch dont l'échappement se fait au travers du mât d'artimon, devenu creux. Du coup, avec la réduction de moitié de la grand-voile et de la misaine, la traînée hydraulique provoquée par les deux grosses hélices quadripales de 1,20 mètre de diamètre et l'augmentation du fardage (salon de pont et dunette surélevés) ont lourdement obéré ses très bonnes capacités nautiques à la voile. Il a pratiquement perdu 2 nœuds de vitesse et ne remonte quasiment plus au vent ! En contrepartie, il peut naviguer par tous les temps et manœuvrer seul dans tous les ports du monde, ce qui correspond bien aux attentes de son nouveau propriétaire.
Le beaupré, en acier depuis son origine, a été aussi raccourci, ramenant le centre de poussée vélique vers l'arrière et le rendant un peu plus ardent. Du coup, avec le gréement qu'il possède de nos jours, il ne peut pas porter toute sa brigantine aux allures de près sans le déséquilibrer, ce qui limite aussi la puissance de son gréement. Cependant, dépasser les 60 mètres de longueur hors-tout pouvant avoir des conséquences financières importantes en termes de redevances portuaires, le rallongement de cet espar afin de porter un ou deux focs supplémentaires n'est pas envisageable.
Racheté en 1921 et rebaptisé Fantôme II par Sir Arthur Ernest Guinness, un membre de la famille de l'industriel et brasseur irlandais du même nom. À dater de cette époque, le Belem va beaucoup naviguer, effectuant de très longs voyages. Cependant, même s'il a fait le tour du monde par les canaux de Panama et de Suez, il n'a jamais passé le cap Horn. Ces voyages cesseront en 1939, à l'orée de la Seconde Guerre mondiale. Le Belem trouve alors refuge à l'île de Wight où il sera miraculeusement épargné par les bombardements mais son gréement subira de grosses avaries. Il servira de base à une unité des Forces navales françaises libres. La belle histoire entre le trois-mâts et Sir Ernest Guinness s'achèvera en 1949, à la mort de ce dernier.
Il appareille en 1952 pour Venise où son nouvel acquéreur, la fondation Cini, en fait un navire-école. Il est rebaptisé une fois de plus : Giorgio Cini. Réarmé avec un dortoir dans l'entrepont, le gréement devient celui d'un trois-mâts goélette, plus facile à manœuvrer.
En 1972, l'Arme des Carabiniers italienne le rachète pour le chiffre symbolique d'une lire italienne, car elle souhaite se doter d'un navire-école. Il est remotorisé avec 2 moteurs Fiat de 300 ch mais sa nouvelle carrière fut courte. Le manque d'entretien pendant les années de guerre ne lui ont pas laissé fière allure et, rapidement, il est jugé trop vétuste pour emmener des cadets en mer. Les chantiers navals de Venise le remettent plus ou moins en état de naviguer, le gréement est remonté comme à l'origine en trois-mâts barque (le grand mât reprend son phare carré).
En 1976 et toujours pour une lire symbolique, les militaires cèdent le trois-mâts à un chantier vénitien qui, après une toilette sommaire, le propose à la vente.
Retour sous pavillon français
C'est par hasard qu'un passionné de gréements traditionnels, le docteur Luc-Olivier Gosse, le retrouve. Grâce à une association (l'ASCANF), la Caisse d'épargne rachète le dernier grand voilier en acier français afin de le ramener dans son pays d'origine. Le 17 septembre 1979, le Belem arrive à Brest remorqué par un bâtiment de la Marine nationale, l'Éléphant.
En 1980, le Belem est donné à la fondation Belem créée la même année (et reconnue depuis d'utilité publique). Afin de sensibiliser l'opinion et de récolter des fonds pour sa réhabilitation, il est amarré à Paris, près de la tour Eiffel et est en grande partie restauré à cet endroit. Son gréement a été remis en état dans le souci de respecter l'aspect d'origine. On lui reproche cependant son beaupré trop court.
En 1984, le Belem est classé monument historique, moins de deux ans après l'autre grand voilier français, le Duchesse Anne qui, lui, ne navigue plus, et est amarré au port de Dunkerque.
En 1986, il effectue son voyage inaugural à New York à l'occasion du centenaire de la statue de la Liberté.
Depuis, le Belem a entamé une nouvelle carrière de représentant de la marine à voile. Il prend à son bord des stagiaires de tous âges pour leur faire découvrir la navigation traditionnelle au moyen de stages de 2 à 10 jours. Outre l'équipage de 16 hommes (capitaine et cook compris) il peut emmener jusqu'à 48 stagiaires répartis en 4 groupes. Dans le cadre de la mission assignée à la Fondation Belem, il fait ainsi du cabotage le long des côtes françaises et européennes et quelques voyages en Atlantique grâce au mécénat du Groupe Caisse d'épargne qui soutient la fondation. Il participe aussi aux rassemblements internationaux de grands voiliers et est ouvert aux visites à l'occasion de certaines escales entre mars et octobre.
En 1996, il fait l'objet d'une exposition au Musée national de la Marine à Paris intitulée Le temps des clippers, centenaire du Belem
En 2002, le voilier effectue un voyage transatlantique de Dakar à Belém, la ville qui lui a donné son nom. Il visite par la suite la Guyane, différentes îles des Antilles, puis fait son voyage retour via les Bermudes et les Açores. Le Belem fut ainsi présent aux cérémonies commémorant le centenaire de l’éruption de la montagne Pelée qui détruisit la ville de Saint-Pierre de la Martinique le 8 mai 1902. Cette présence rappelant les circonstances qui avaient permis au Belem d'échapper à la catastrophe un siècle plus tôt.
En 2003, il fait l'objet d'une nouvelle exposition au Musée national de la Marine, intitulée tout simplement Le Belem.
À partir de 2008, il a été affrété, comme l’Étoile de France et le Kathleen & May, par la Compagnie de transport maritime à la voile (CTMV), ancienne compagnie maritime française spécialisée dans le transport maritime du vin et spiritueux en bouteille.
En 2008, le Belem quitte La Rochelle le 8 mai pour faire son arrivée à Québec le 2 juillet, voyage commémorant le voyage de Samuel de Champlain en 1608 et faisant partie intégrante des festivités entourant le 400e anniversaire de la ville de Québec.
Le 13 mai 2009 a vu Rabat accueillir le Belem à l'occasion du Festival Mawazine, et aussi pour l'inauguration du quai d'honneur de la ville, après une escale à Tanger. Depuis sa réouverture en 2009, l'École des mousses de Brest utilise le voilier pour l'entraînement de ses jeunes recrues (stages de 4 jours en mer), conformément à une convention signée entre la Fondation Belem et la Marine nationale.
Le 3 juin 2012, le bateau participe au jubilé de diamant d'Élisabeth II du Royaume-Uni6. C'est la première fois qu'il fait escale à Londres et c'est aussi le seul bateau français invité officiellement par la reine à cette commémoration. Lors des Jeux olympiques de Londres 2012, le Belem est amarré sur la Tamise, en vue du Club France.
En 2016, il est présent aux Fêtes maritimes de Brest du 13 au 19 juillet. Durant cette même année, la ville de Nantes fête les 120 ans du navire lors de l'événement : «Débords de Loire». En 2017 il est au Havre lors de l'évenement des Grandes voiles du Havre.
En 2019, le Belem participera à l'Armada de Rouen parmi les 46 bateaux attendus.
Nantes pour racines
Le Belem a pour port d'attache Nantes en Loire-Atlantique. Une ville qui l'a vu naître et qu'il retrouve régulièrement aujourd'hui lors de manifestations nautiques ou de simples escales, une à plusieurs fois par an.